Expositions /
Des yeux pour entendre
Marie Jérôme immerge ses photographies dans des bocaux. Et l’image de nous-même s’en trouve bouleversée.
Comme si, instinctivement, nous comprenions que nous venons de là, de cette vie aquatique antérieure dans laquelle les sons ne parviennent qu’assourdis, lointains, filtrés.
Comme s’il ne restait plus du monde extérieur qu’une vibration lente, opaque, déconnectée du réel.
Le fait que les photographies immergées de Marie Jérôme « fixent » les visages et les corps muets, stoppés dans leur élan, de personnages réellement sourds et déconnectés eux aussi du monde ordinaire ne fait évidemment qu’accroître le trouble du visiteur.
Au rappel à la mémoire fœtale du visiteur se rajoute alors l’éloignement forcé entre sourds et entendants. Double distance. Proximité doublée.
Puis lentement au fil des jours s’installe un autre mouvement. Le support chimique des photographies de Marie Jérôme plongées dans le liquide aqueux commencent imperceptiblement à se déliter pour finir par s’évanouir complètement.
Dans cette disparition se joue davantage que l’effacement prévisible d’une matière censée supporter les images du monde. C’est de notre propre perte qu’il est question, perte inéluctable, perte des repères, des certitudes, des anges aimés, des démons, perte de notre illusion d’immortalité.
Mais cette perte s’accompagne de sa propre perte puisqu’elle réveille en nous l’humanité endormie et le sentiment de plénitude, d’accomplissement nécessaires aux déploiements de nos sagas quotidiennes dérisoires ou merveilleuses.
Pierre Bongiovanni